Légende touarègue sur l'origine de la croix d'Agadez Un jour, à la fin de l'été, l'homme, ne pouvant plus supporter la présence si proche de l'être aimé, préféra quitte le campement. Son tourment était si grand qu'il valait mieux qu'il s'en aille.
Il prit son méhari acajou clair, rapide à la course et son épée au fourreau garni de métal. Il replia son voile de front et s'éloigna dans la direction où paraissait la lune au commencement du mois. Tout le jour, il marcha d'un pas lent et cadencé, résigné, souffrant que l’œil réclame la vue de la personne aimée, et que l'amour soit un bourreau qui ne laisse pas mourir et ne laisse pas vivre.
Le premier soir, alors que le soleil tombait, il campa dans une plaine de sable fin. Les jours suivant, il suivit une ligne de grands arbres isolés, jusqu'à atteindre des régions montagneuses.
Toute la journée, il songeait : " Résigne-toi : tu n'as rien à espérer ; sans doute, a-t-elle oublié tes tempes et tes joues "
Chaque fois qu'il rencontrait un enfant qui faisait paître un troupeau, il lui demandait des nouvelles de son campement, et cherchait surtout à savoir ce qu'il advenait de la jeune femme au teint pur qu'il avait laissée.
Chaque paysage lui rappelait cette femme, rien ne pouvait l'effacer de ses pensées.
Il traversa des plaines et des déserts, sentit la soif et la faim lui tirer les lèvres et le ventre.
Il s'arrêta un jour dans une vallée où l'herbe était fraîche et abondante. Des campement étaient installés là, des femmes fardées, des enfants jouaient auprès de sources fraîches. Il fut bien accueilli, on ne lui posa pas de question sur les raisons de sa venue. On lui dressa une tente à l'écart. Tout le jour, il travaillait avec les hommes, et tous les matins, les femmes lui apportaient le lait.
Il suivit le campement pendant toute une année. Un matin, il repartit. Son cœur était vide, il ne savait où aller.
Tandis qu'il traversait d'autres vallées, longeant les sables, il crut entendre un violon lui dire : " La tristesse de quitter celle dont tu t'es éloigné, où est-elle ? "
Il lui dit : " N'accrois pas ma souffrance. La tristesse est toujours là. "
Tous les jours, ses yeux versaient des larmes, l'amour pour la jeune femme lui brûlait le cœur, et l'éloignement n'y faisait rien.
C'est alors qu'il traça dans le sable un symbole d'alliance entre lui et sa bien aimée. Une croix unie à un cercle : l'homme et la femme liés. Il décida de rentrer.
Passant en ville, il fit fabriquer par le meilleur forgeron la croix qu'il avait dessinée. Le bijou fut façonné en argent et accroché à quelques liens de cuir souple.
Il mit plusieurs jours pour retrouver son campement. La croix suspendue à son cou lui donnait le courage d'avancer, elle était son étoile à suivre.
A l'approche du campement, il s'arrêta, mit son plus beau turban d'indigo par-dessus son voile blanc, chaussa ses chaussures neuves brodées de points turquoise, et repartit d'un pas plus rapide.
Son bonheur de retrouver les siens était grand, et son retour fut fêté. Il avait des histoires à raconter et tous venaient à sa rencontre pour entendre ses récits des régions parcourues.
Vite, il apprit que la femme vivait toujours là, mais qu'elle allait être mariée.
Il alla la retrouver derrière l'arbre près du puits un matin où elle s'en allait chercher l'eau pour la journée.
Elle non plus, n'avait pu l'oublier. Tous les jours, elle avait songé à lui, et son cœur pleurait de l'avoir vu s'éloigner.
Elle non plus, n'avait pu se résigner.
Ils décidèrent de s'aimer en cachette.
Il lui montra la croix d'argent fabriquée pour elle, et ils inventèrent un code : le jour où elle trouverait ce bijou dans la calebasse destinée au lait que sa servante venait lui apporter chaque matin, elle le rejoindrait au soir couchant derrière l'arbre près du puits.
C'était une servante bonne et fidèle, il leur serait facile de lui demander de garder le secret.
Et c'est ainsi qu'ils firent. Chaque matin, la servante apportait la calebasse pour le lait à sa maîtresse. Cette dernière, si elle y trouvait la croix, savait qu'elle pouvait, le soir, aller rejoindre l'homme qu'elle aimait.
Ils s'aimèrent ainsi en cachette, toute leur vie, et personne ne se rendit compte de rien.
Leur bonheur était grand et la croix le gardait bien secret.
C'est sans doute la vieille servante qui, un jour, raconta cette histoire à sa fille : personne ne sut si elle était devenue folle ou si elle disait vrai.
Mais la croix est restée, elle est protée maintenant et garde en elle sa part de mystère.
Elle cache peut-être un amour qui n'a pas pu se résigner à mourir entre ces deux sages amants oubliés.
Aude Durou
source:http://touaregsmirages.canalblog.com/archives/2012/06/09/24458489.html