LES LETTRES HÉBRAÏQUES
L’alphabet hébraïque fascine par la profondeur de son symbolisme. Son histoire en fait de plus la matrice de nombreux autres alphabets. Mais en quoi ces vingt-deux signes nous interpellent-ils ? Est-ce une mémoire qui demande à révéler en nous un domaine secret de notre inconscient ? Percevons-nous en eux, outre leur beauté toute carrée, un univers sacré interdit ? Ou, pour le chrétien, une connaissance taboue qui le pousse à retrouver la chair des lettres de son Messie, Jésus ? L’auteur a choisi de présenter les lettres par couples et d’évoquer ainsi l’entre-deux des choses : « Au lieu de parler de l’Aleph, puis du Beth, ce qui me passionne, est plutôt ce qui se passe quand les deux lettres se confrontent, s’accouplent ou se disputent. « Une pensée hébraïque commune au judaïsme et au christianisme, une initiation très réussie et foisonnante de symboles... Et si l’alphabet hébraïque nous aidait à mieux nous connaître ?
ALEPHAleph est le symbole de l’unité. Il est présent dans
toute créature. Il est l’énergie qui préexistait avant la création du monde. Il est la stabilité, la continuité. Nous avons tous la nostalgie de cette unité et désirons tous la continuité des belles choses qui nous habitent.Aleph c’est aussi l’enseignement. Aleph nous questionne sur la nécessité de la transmission.
BETHBeth c’est la maison. Par extension il exprime toutes les
valeurs liées à l’intimité. Par sa forme, on dit que cette
lettre est enceinte et qu’elle est l’ouverture vers l’avenir.
Première lettre de la Bible, elle exprime les grands
commencements. Avec le mot brakha, Bénédiction, elle
bénit le monde. Elle conserve avec sa petite queue une
nostalgie du Un Aleph. Beth dans un degré d’abstraction
supérieure : l’ésotérisme.
GUIMELGuimel, le Chameau symbolise le voyage, le déplacement,
le mouvement. Il est signe de la richesse intérieure. Sans
l’intimité procurée par le Beth, il n’est rien. Guimel
est aussi l’exotérisme nécessaire à la diffusion de la
spiritualité. Avec la racine GML il est aussi le sevrage
nécessaire pour se réaliser.
DALETHDaleth, la porte. Lettre initiatique. Passé son seuil, on
accède à la dimension qui favorise la réalisation des
oeuvres dans l’existence. Elle est la première épreuve de
l’alphabet. Épreuve qui exige un retour à la pauvreté,
l’humilité. Pour passer ce cap il ne faut pas avoir peur
de perdre (Dal, perdre en hébreu).
HÉHé c’est le souffle, la prière. Lettre deux fois présente
dans le Tétragramme YHVH. Prière pour la réalisation
des actions dans ce monde. Le Hé est aussi la force
féminine créatrice.
VAVVav signifie crochet. Cette lettre est le symbole de
l’Unification. Elle relie les mondes, les contraires. Elle
est aussi notre coordination ET qui relie les éléments
des phrases. Par extension, elle est un élément mâle qui
féconde, qui crée. En grammaire elle change le passé en
futur et le futur en passé. Face au Zayin des armes, elle
est la pacification, la paix.
ZAYIN
Zayin, l’épée. 2e arme de l’alphabet après le Vav et avant
le Tsadé, le harpon. Cette arme sert à tuer les humains,
pour la guerre et pour se défendre. Elle est l’acier
nécessaire pour maintenir le moi, l’individu. Outil de
la séparation pour éviter les symbioses et les annexions.
Elle est liée au Vav. Si le Vav est la paix, le Zayin est la
guerre. En hébreu, Zayin signifie aussi le Phallus. Dans
la tradition il évoque Zekhor, la mémoire.
'HETH2e épreuve de l’alphabet après le Daleth et avant le Qof,
‘Heth, la barrière. Elle est le signe de la séparation. Elle
répond au Zayin précédent. Lettre fermée, pour passer
cette étape il faut reculer pour mieux sauter. Sinon on
bute à jamais sur la 8e case. Elle est aussi le ‘Heth de
‘Hayim la vie. La vie ne peut s’exprimer que parce que le
dehors et le dedans, le même et l’autre, sont clairement
défi nis. Associé au Teth qui suit, il donne le mot faute.
TETHTeth, le bouclier, le serpent. Son dessin originel est un
disque contenant une croix. Certains y voient le serpent
qui se mord la queue. Cette lettre est symbole de
protection, de cercle de sécurité. Elle est aussi le signe
de la Bonté de la Création, le Tov. Dans le Genèse le
monde est foncièrement bon.
YODYod, la main qui donne, qui crée. Elle est le signe de la
puissance de Dieu. Plus petite lettre de l’alphabet mais
présente dans toutes. Elle commence le nom sacré de
Dieu, YHVH. Graine de toute manifestation.
KHAF
Khaf est la paume. En général, il indique toutes sortes
d’objets concaves : la cassolette, le creuset, la coupe, le
canal. Le Khaf est la lettre féminine des gestations, des
changements, des mutations alchimiques. Il transforme
la matière en esprit. Lettre gravide des projets de nos
vies.
LAMEDLamed est l’aiguillon et curieusement l’étude. L’étude doit être l’aiguillon qui nous tire vers la découverte des autres et du monde. Le Lamed est la plus haute lettre. Toute cette élévation pour porter le Yod divin qui nous guide dans le monde multiple. La lettre est le symbole du désir. Sans désir pas de projet, pas d’humanité. Mais un désir qui nous pousse
au dépassement, dans des réalisations concrètes et spirituelles.
MEMMem est Mayim, l’eau. Comme tout ce qui est lié à
l’eau est lié au féminin matriciant. Mem est le ventre
de la femme gravide. Autre lettre des transormations,
des mutations et des gestations lentes dans le secret
et l’ombre. Mem avec Ma, Mi, quoi et qui, est la lettre
du questionnement. Il ne peut y avoir de véritable
méditation sur l’être sans des questions faisant naître
d’autres questions.
NOUNNoun est le serpent d’eau. Noun nous apprend qu’il est
possible de vivre dans d’autres dimensions. Que là où il
vit nous mourrions aussitôt. Noun est un secret caché
au fond des eaux. Noun est le symbole du mystérieux
féminin. Il est la part qui sera à jamais étrangère à
l’homme.
SAMEKHSamekh, le Soutien. Très vieux symbole d’origine
égyptienne en forme de pilier. Samekh est la lettre des
certitudes qui nous ancrent dans notre vie, sur lesquelles
nous ne revenons pas. Sa forme ronde inquiète car elle
nous fait comprendre que les soutiens nous enferment,
nous font tourner en rond. Vav et Zayin sont des
attributs sexuels mâles, Samekh féminin.
'AYINAyin, c’est à la fois l’oeil et la source. ‘Ayin c’est le
discernement qui nous éloigne de la confusion. La
lucidité qui remonte toujours à la source des choses.
L’oeil par ses paupières mobiles permet le regard
intérieur et la contemplation du monde extérieur. Cet
oeil est le symbole de la tradition écrite en opposition à
la tradition orale représentée par la lettre qui suit : Pé.
PÉPé, la bouche, par extension, la parole, le Logos. C’est
par la parole que Dieu créa le monde. Pé est composé
du Khaf, récipient féminin et du Yod masculin, il est un
équilibre créatif du Masculin et du Féminin.
TSADÉTsadé, le harpon, la sagesse. Avec ses 2 Yod, cette lettre
symbolise la cohabitation de 2 dimensions complémentaires : la
terrienne et la céleste. De l’équilibre de ces deux pôles
naîtra la sagesse. On peut y voir aussi la polarité du
masculin et du féminin. Certains voient en elle la figure
de l’androgyne. Le symbole du harpon exprime aussi cet
équilibre de la chaîne alimentaire. Il faut savoir prélever
de son biotope le nécessaire pour maintenir l’équilibre
écologique, manifestation de la complexité de la vie.
QOFQof, le chas de l’aiguille. Dernière épreuve de l’alphabet
qu’il faut passer presque en rampant. Cette porte
étroite, ce boyau, mène à la lettre suivante le Rech, la
figure humaine riche de projets. Pour accéder à cette
purification il faut avoir connu l’extrême humilité. Qof
est aussi une lettre sainte car initiale de Qédousha, le
Sainteté. Qof veut dire aussi singe, le singe chez les
Égyptiens était le dieu suprême Thot de l’écriture, la
plus grande invention de l’homme.
RECHRech, la tête humaine de profil, regardant l’avenir,
tournant le dos au passé. Tête ayant le courage de tous les
commencements. Cette lettre affirme : Voici l’Homme,
acceptant toutes ses dimensions. Associé au Shin qui
suit il donne le mot pauvreté, synonyme du Daleth
très proche de lui graphiquement. Accepter de vivre
toute la grandeur de l’homme demande d’intérioriser la
pauvreté, la fragilité de notre condition.
SHINShin, la dent. Pénultième lettre de l’alphabet. Shin est la
machine à broyer. Ses mastications et ses manducations
transforment la matière en pensée, en prière, en projet,
pour mener à la dernière lettre Tav, celle de l’affirmation
de l’exception humaine en mouvement : le signe. La lettre
est le symbole de l’unification de la matière et de l’esprit.
Elle est l’initiale d’un nom sacré de Dieu : Sheddaï.
TAVTav, le signe. Ultime lettre de l’alphabet. Elle nous
donne la leçon de ce vaste jeu de l’oie : le signe abstrait
qui affirme l’unicité du projet de l’Homme. Elle vient
comme la signature de l’artiste au bas de sa création.
Préparé par la machine aux mutations du Shin, Tav
est le symbole de l’absolu, du terme. Certains y voient
aussi le Tav de Mavet la mort. Mais dans ce monde des
dimensions, la mort n’est qu’un nouveau commencement
à condition d’avoir su achever le travail commencé.